La philosophie, la politique comme théologie
Comme R. Barthes démystifia déjà M. Onfray, Georges Palante traquait lui aussi une forme de mythe : celle qu’il appelle le « prêtre laïque ». Cent années plus loin, les vocations sont toujours aussi nombreuses. Ce prêtre n’est pas un abbé Pierre, un clerc à tendance « mondaine », païenne, un curé « proche du peuple ». C’est plutôt la figure que Nietzsche esquisse dans Par-delà bien et mal (§53) : « il me semble que l’instinct religieux, quant à lui, est en pleine croissance, – mais qu’il refuse justement avec une profonde méfiance de s’assouvir à la manière théiste. » Autrement dit : chassez la religion par la porte – avec fracas, et en étant certain d’être vu de son semblable – et vous êtes assuré qu’elle reviendra par la porte – propre sur elle, un tantinet altermondialiste & Co, mais surtout profondément anticléricale. Ce type de prêtre est celui qui a du sang bleu – divin – sur les mains mais qui est incapable de créer, il est ce trouillard bienheureux de son crime métaphysique vantant le crime mais pratiquant le bouche-à-bouche sur la métaphysique. « Il est assez fréquent que le criminel ne fasse pas le poids face à son crime : qu’il le rapetisse et le dénigre. » [1] Le meurtre de Dieu est bien trop important pour ces bellâtres du « laïc », c’est une mer à boire : mieux vaut-il avoir un estomac solide. Soit on l’a, soit non. Soit il est plus ou moins résistant, autant dire que ce cas rejoint la faiblesse gastrique.
Qui est ce malade stomacal ? Georges Palante dans « L’esprit prêtre laïque » fournit quelques exemples langagiers. Être prêtre, c’est déjà parler une langue : « Tout esprit religieux est disposé à accorder une énorme influence à la foi transmise, à la morale enseignée. Tout prêtre croit à l’efficacité de son prêche. » Une langue qui crée – lux fiat !
C’est parler de « sacerdoce » pour une « vocation » (encore !) professionnelle : le sacrifice tragique, la réponse à l’appel du destin, l’acceptation du plan divin. « Je serai professeur » : embrasser la proposition angélique, avec le sens du sacrifice pour du plus vrai, le bien commun bien compris – le professeur et Marie.
« L’esprit de groupe sous toutes ses formes, l’esprit de corps, l’esprit de chapelle prennent aisément la nuance religieuse. » La fête laïque n’est donc rien d’autre que la messe, mais sans croix. Il s’y manifeste l’esprit religieux dans la mesure où elle est une communion, une union quasi-mystique dans une même foi. Des fêtes révolutionnaires jusqu’à nous. Si les commémorations ne sont plus aujourd’hui semblables qu’à la messe du jour de semaine dans la petite chapelle au fond à gauche juste après le panneau des caté, songeons à la « victoire de 98 » : « Zizou président. »
Palante évoque aussi le qualificatif de « renégat », celui qui change de parti politique, d’opinion. La parole politique est parole de la Forme, incarnation phonique du Verbe : quiconque s’oppose à la Parole est un renégat c’est-à-dire « celui, celle qui a renié la religion chrétienne pour embrasser une autre religion » (Littré). La politique est affaire cléricale : d’un côté ma chapelle, de l’autre la tienne qui n’est même pas puisque le Verbe est de mon côté. La cartographie est essentielle. Malheur au sans-papier, mais surtout honte au migrant ! Renier son opinion équivaut à abjurer. Action, réaction : la sentence – excommunication. Un parti est une église avec ses fidèles, ses dogmes, sa Loi, ses articles, ses symboles, …
« Ces sentiments, qui sont à leur maximum dans un clergé, peuvent exister à l’état plus ou moins diffus et atténué dans les diverses corporations et catégories sociales qui, à un titre quelconque, aspirent à représenter une idée morale, à remplir un apostolat ou une mission sociale, à se poser en modèles (les honnêtes gens), à donner le ton et l’exemple, à imprimer une direction morale au reste de la société, bref à exercer un sacerdoce. » Peut-on être plus clair ? La néo-prêtrise n’est autre que l’incarnation de l’ « esprit religieux » évoqué par Nietzsche. – Tuer Dieu=pas aller à la messe. Quelle pauvre idée de Dieu ! Athée faiblard, ainsi que mauvais croyant. N’as-tu pas compris ?
Ô très bon Georges viens à notre secours, que ta Parole vienne nous rassasier : « l’esprit prêtre laïque se trouve uni à une certaine conception de la philosophie entendue comme la servante d’un finalisme éthique et d’une foi morale laïque. » Tu comprends un peu mieux ? Une deuxième couche pour la route : « Ce que les hommes demandent à la philosophie, c’est de leur donner à croire, de leur donner un premier principe sur lequel fixer leur conduite, un but vers lequel avoir l’illusion de s’orienter ». Saisis-tu ? Il est fort rétribuant de s’apparaître avec la casaque antéchristique. Mais ! Vas-tu lâcher ce crucifix ! Nietzsche l’avait senti : on peut renier Dieu sans en faire de même pour le religieux. Cracher à la gueule de Dieu, mais surtout défendre le Plaisir, l’Ensemble, … (le Moi ?) : remplacer la théologie par la téléologie. Une branche ou je me noie ! Une boussole ou je me paume ! Un Malox pour la digestion de la chair divine !
« [L]’ancien idéal catholique et ascétique s’est mué en un idéal progressiste, optimiste, eudémoniste et humanitaire, aspirant au bonheur universel et aux paradis laïques. »
A chacun maintenant de fourrer dans cet « ancien idéal » ce qu’il y trouvera, voudra.
Amen.
Notes :
[1] Par-delà bien et mal, §109